• Sur le site lemonde.fr, par Elisabeth Pineau

    Mary Pierce, la dévote du tennis français

    La nouvelle devrait ravir Philippe Sollers. Mary Pierce a abandonné sa tresse. « Sa tresse me stresse », s’agaçait l’écrivain, amateur de tennis, à l’heure où la joueuse brillait sur les courts. Cette longue natte blonde qu’elle lissait entre les points, qu’elle triturait au même titre que son chapelet, parmi tant de petites manies qui irritaient aussi bien son ­adversaire que le public. En ces derniers jours de mai, on la retrouve à Sèvres (Hauts-de-Seine), dans l’appartement qu’elle loue lors de ses passages à Paris. En sweat et pantoufles aux pieds, Mary Pierce est lovée dans le canapé, les cheveux relevés négligemment.

     

    Elle a débarqué quelques jours plus tôt de l’île Maurice, où elle vit depuis 2008, pour faire une halte à Roland-Garros. Il y a seize ans, la jeune femme de 25 ans y triomphait – en simple et en double. Elle reste la dernière Française à avoir remporté le tournoi. « Quand je suis sortie du court après mon premier tour, j’ai senti que j’allais aller au bout, mais j’ai gardé ça pour moi, se remémore-t-elle, avec cette pointe d’accent américain toujours aussi exquise. J’ai avancé match par match jusqu’à me retrouver en finale. Je dois dire que le Seigneur m’a beaucoup aidée. J’avais rencontré Jésus trois mois avant. »

    Mary Pierce lâche la précision à brûle-pourpoint. Comme si la chose était la plus banale qui soit. Devant notre regard interdit, elle développe :

    « Malgré tout le succès, j’avais le sentiment qu’il manquait quelque chose à ma vie, je ressentais un vide. Je me suis rapprochée d’une fille sur le circuit, l’Américaine Linda Wild, qui avait quelque chose de différent. Son discours sur Jésus m’a parlé. J’ai su que c’était ça que je recherchais. » Elle trouve la foi à l’occasion du tournoi d’Indian Wells, en mars 2000. Un matin, seule dans sa chambre d’hôtel, la jeune femme se dit qu’« [elle] ne [peut] plus continuer [sa] vie comme ça » : « C’est le moment où je me suis repentie, j’ai demandé pardon au Seigneur pour tous mes péchés et l’ai exhorté à prendre le contrôle sur ma vie. A partir de ce moment, Jésus est venu habiter dans mon cœur, je suis née de nouveau. »

    Mary Pierce, la dévote du tennis français

    En janvier 1995, Mary Pierce remporte l'Open d'Australie aux dépens de l'Espagnole Arantxa Sanchez-Vicario, qui l'avait battue six mois plus tôt en finale de Roland-Garros. Photo AFP / Greg Wood

    En juin 2000, donc, Pierce fait de Dieu le coach le plus médiatique de la quinzaine et, moins anecdo­tique, entre dans la légende française, succédant à Suzanne Lenglen (vainqueur en 1920, 1921, 1922, 1923, 1925, 1926), Simonne Mathieu (1938 et 1939), Nelly Adamson-Landry (1948) et Françoise Dürr (1967). Un parcours sans faute au cours duquel la future numéro 3 mondiale bat les trois meilleures joueuses du moment : Monica Seles en quarts, Martina Hingis en demies et Conchita Martinez en finale.

    Six ans plus tôt, sur cette même terre battue, Pierce s’était inclinée en finale. Même si, avec le recul, elle considère avoir joué cette année-là le meilleur tennis de sa carrière à Roland-Garros. « Je réussissais tout ce que je faisais. Je crois d’ailleurs que j’ai toujours le record du plus faible nombre de jeux cédés [seulement six perdus en cinq matchs pour se hisser dans le dernier carré]. La demi-finale contre [Steffi] Graf, ça reste le meilleur match de ma vie. » Ce 2 juin 1994, sur le central, la gamine de 19 ans aux frappes surpuissantes humilie l’Allemande, numé­ro 1 mondiale (6-2, 6-2). Avant de coincer contre Arantxa Sanchez. « La veille de la finale, je n’arrivais pas à dormir car mon discours d’après-match m’ob­sédait, lâche-t-elle dans un grand éclat de rire. Je n’étais pas 100 % à l’aise encore en français… »

    En juin 1994, à 19 ans, Mary Pierce humilie la numéro un mondiale, Steffi Graf, en demi-finale de Roland-Garros.

    Le 27 mai 2005, lors du troisième tour de Roland-Garros face à la Russe Vera Zvonareva. Regis Duvignau / Reuters

    Entraînement militaire

    Née au Canada d’une mère française et d’un père américain, l’adolescente a débarqué en France à 13 ans. Le choix a fini par s’imposer, au vu des relations houleuses entre la fédération américaine et le paternel, jugé trop encombrant. A l’égard de ce père, Jim, qui lui fit taper ses premières balles à 10 ans, elle a longtemps éprouvé de la haine, décrivant des séances de travail dignes d’un entraînement militaire – « le tennis m’a volé une partie de mon enfance », dira plus tard Pierce. Ancien repris de justice, l’homme est soupçonné de flanquer des roustes à l’adolescente après ses défaites. A Roland-Garros, en 1993, il sera même expulsé du stade, surpris en train d’in­jurier sa fille pendant un match. Elle lui a depuis pardonné. « Petit à petit, notre relation s’est normalisée. Aujourd’hui, c’est comme si le Seigneur avait tout ­effacé. Je l’ai régulièrement au téléphone et je lui rends visite quand je vais en Floride, où il est installé. »

    Sept mois après sa défaite contre Sanchez, Mary Pierce prendra sa revanche sur l’Espagnole en remportant en janvier 1995 l’Open d’Australie, son premier majeur. Libérée de ce père brutal, elle n’en est pas moins désorientée, regardant les entraîneurs se succéder à son chevet et les premières blessures pointer. Au lendemain de son titre parisien, elle entame une longue traversée du désert. Et dégringole au classement. Aussi sa nouvelle présence en finale de Roland-Garros, en 2005, relève-elle presque du miracle : « C’était une année extraordinaire pour moi, sourit Pierce. J’avais 30 ans, j’étais blessée, j’étais ­redescendue à la 300e place mondiale, les gens ­disaient que j’étais finie… »

    Ce sera l’un de ses derniers coups d’éclat. A la fin de l’année suivante, la joueuse se blesse gravement au genou gauche lors du tournoi de Linz (Autriche), victime d’une rupture partielle des ligaments croisés. Sans jamais annoncer officiellement sa retraite, elle ne remettra plus jamais les pieds sur le circuit. Aujourd’hui, la douleur n’a pas disparu. Elle a appris à vivre avec : « Tous les jours, je la sens. Je ne peux pas sauter, ni courir, ni jouer au tennis. »« Pour le moment…, s’empresse-t-elle d’ajouter. Ça me manque, des fois j’aimerais juste faire un footing dehors. Je suis assez limitée dans les sports que je peux pratiquer. » Alors, pour se dépenser, elle s’est mise au pilates et se promène à vélo sur les hauteurs de Petite-Rivière-Noire, dans le sud-ouest de l’île Maurice, où elle vit dans une communauté évangélique protestante.

    Mary Pierce, la dévote du tennis français

    En octobre 2006, lors du match l'opposant à la Russe Vera Zvonareva lors du tournoi de Linz (Autriche), Pierce se blesse gravement au genou gauche. Ce sera son dernier match sur le circuit. Photo AFP / Josch

    « Savoir que j’ai la vie éternelle, c’est extraordinaire »

    « La religion est la chose la plus importante dans ma vie, ça a complètement changé mon existence. Le titre à Roland, c’est super, mais ça n’est pas comparable. ­Savoir que j’ai la vie éternelle, c’est extraordinaire », s’exalte Mary Pierce, qui, lors de ses séjours à Paris, fréquente l’Assemblée chrétienne de Chaville (Hauts-de-Seine). Elle a longtemps cherché où vivre sa foi, visitant des communautés un peu partout dans le monde. C’est finalement à l’île Maurice qu’elle a posé ses valises : « Quand je suis arrivée à Maurice, je me suis tout de suite sentie à la maison. Le message que j’entendais prêcher m’a paru tellement riche… »

    Ces dernières années, elle avait pris sous son aile le petit-fils et la petite-fille du pasteur, deux adolescents plutôt prometteurs en tennis : « Ils se sont retrouvés un jour sans entraîneur et comme j’habitais à côté d’eux, je me suis dit que j’allais les aider. » Une hernie discale en septembre 2015 l’a contrainte à mettre un terme à sa collaboration avec le frère et la sœur, qu’elle considérait « comme [ses] enfants ».

    Si le tennis n’est plus sa priorité, la jeune quadragénaire continue de suivre de près l’actualité de son sport. En décembre 2015, elle a été nommée au conseil d’administration de l’International Tennis Federation, l’instance qui organise notamment les tournois du Grand Chelem, la Coupe Davis et la Fed Cup. A ce titre, elle participe tout au long de l’année à des réunions sur des sujets aussi variés que l’évolution des règlements, les paris sportifs ou la politique antidopage. Parallèlement, elle organise une série de trois tournois professionnels féminins, le Mary Pierce Indian Ocean Series, le premier à La Réunion, les deux autres à l’île Maurice. La première édition, en juin 2015, « a réuni des jeunes filles de 17 pays différents », se targue-t-elle.

    Vit-elle encore de ses victoires sur le circuit ? Ou bien uniquement de foi et d’eau fraîche ? Sur le sujet, la joueuse aux 18 titres en simple préfère botter en touche : « J’ai eu la chance de pouvoir bien jouer, de pouvoir bien gagner ma vie. Je travaille un peu à côté, je fais d’autres choses, élude-t-elle. On peut dire que je suis… “bien”. »

    Ainsi soit-il.

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